KAIROS: analyse du budget fédéral 2012


Les mesures du budget fédéral 2012 auront des retombées importantes sur plusieurs des priorités de KAIROS, telles la justice pour les peuples autochtones et la durabilité écologique ou la qualité de l’aide publique au développement.

L’équité pour les peuples autochtones au Canada

Le budget annonce 275 millions $ sur trois ans pour l’éducation dans les Premières Nations (100 millions $ pour la première alphabétisation et d’autres programmes, et 175 millions $ pour construire et rénover les écoles dans les réserves). Ce n’est que la moitié de la somme qu’il faudrait pour mettre aux normes canadiennes les écoles des réserves. Le grand chef Stan Beardy, de la nation Anishnawbe Aski, indique que dans les discussions avec Ottawa sur ce dossier, «… il fallait 500 millions $ pour essayer de mettre l’éducation sur le même pied» [1]. Néanmoins, le fait que le gouvernement inscrive au budget l’éducation dans les premières nations est le fruit du travail de conscientisation poursuivi avec dévouement par des gens comme Cindy Blackstock, directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, et comme les jeunes ambassadeurs qui sont allés présenter au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, un peu plus tôt cette année, un rapport sur la discrimination dans le financement de l’éducation pour les Premières Nations. Le gouvernement a réagi sur cette question par ce que les citoyens ordinaires qui en avaient eu vent ont fait savoir qu’ils prennent à cœur l’éducation pour les Premières Nations. Le budget prévoit aussi une coupure de 2,7% aux Affaires autochtones et Développement du Nord. Il faut se rappeler que, depuis 1996, le financement de ce ministère (qui était autrefois le celui des Affaires indiennes et du Nord canadien) a été limité à une croissance de 2% par année alors qu’il aurait fallu augmenter le financement de l’éducation de 6,3% par année pour suivre l’inflation et l’accroissement démographique des Premières Nations. Il est affligeant de constater que le gouvernement n’a pas réagi à la crise du logement dans les collectivités des Premières Nations à travers le pays, crise qui est devenue évidente tout dernièrement à Attawapiskat. Le budget 2012 ne met rien de côté pour le logement dans les Premières Nations. Par contre, on y trouve 330,8 millions $ sur deux ans pour l’eau dans les réserves. Même si, d’après le Prof. Pamela Palmater, ce n’est là qu’environ 5% de ce qu’il faudrait, c’est au moins un pas dans la bonne direction [2].

La durabilité écologique

Le budget promet de rationaliser les évaluations environnementales des grands projets industriels et il maintient les subventions versées à l’industrie pétrolière et gazière : voilà qui est très inquiétant à l’heure où le Canada délibère sur la construction du pipeline Northern Gateway et, par conséquent, sur l’expansion de la production des sables bitumineux. Le budget prévoit des fonds pour accroître la participation autochtone aux évaluations environnementales mais, en réduisant la durée du processus d’évaluation, il empêchera peut-être aussi ceux qui auraient des objections valables de se faire entendre et de voir leur avis pris en compte dans la prise de décision. Nous sommes particulièrement inquiets des propos du ministre des Finances Jim Flaherty indiquant que la loi viendrait abréger rétroactivement l’échéancier des audiences en cours sur le pipeline Northern Gateway. Nous estimons nécessaires une consultation et une évaluation environnementale complètes et financées par l’État. Alors que le budget supprime une subvention à l’industrie pétrolière et gazière (il s’agit de l’élimination graduelle du crédit d’impôt à l’investissement dans le pétrole et les mines au Canada atlantique), il laisse en place l’essentiel du 1,4 milliard $ en subventions annuelles versées à l’industrie pétrolière. Par ailleurs, le budget crée une nouvelle série de subventions pour l’industrie pétrolière et gazière au large des côtes et dans les sables bitumineux, soit :

  • 35,7 millions $ sur 2 ans pour « le développement responsable de l’énergie» : cette somme comprend des fonds d’assistance aux pétroliers, qui avantageront le projet d’exportation du bitume par le Northern Gateway. Le même projet promet « des cadres législatifs et réglementaires satisfaisants qui s’appliquent aux déversements de pétrole et aux mesures de protection civile et d’intervention en cas d’urgence »; une façon de reconnaître qu’il y aura sans doute des déversements;
  • 13,5 millions $ sur 2 ans pour des inspections et des audits visant à renforcer la sécurité des pipelines; encore une façon d’admettre que surviendront probablement des ruptures de conduites et des déversements vu que le bitume dilué est plus corrosif que le pétrole conventionnel;
  • une aide à l’industrie pour colliger des données sismiques au large des côtes.
    Il n’y a aucun engagement dans le budget concernant l’évolution du climat. Au contraire, en supprimant la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, le gouvernement fait taire une voix qui alertait le public aux menaces que fait peser l’évolution du climat sur la vie sur terre. Le budget ne rétablit pas de subventions pour le transport en commun ou pour la réhabilitation thermique des édifices. Il n’y a pas de nouvelles subventions pour le développement de l’énergie renouvelable mais on trouve 2 millions $ pour des investissements dans la génération d’énergie à partir de déchets ou de résidus végétaux (déduction pour amortissement accéléré).

La qualité de l’aide publique au développement (APD)

Le budget laisse présager un avenir trouble pour le programme canadien d’aide à l’étranger. L’enveloppe de l’aide internationale subira une réduction de 9,7% sur 3 ans, les coupures totales atteignant 377,6 millions $ en 2014-15. La plus grande partie de cette somme, soit 319,2 millions $, sera enlevée à l’Agence canadienne de développement international. On ne voit pas encore quels sont les programmes de l’ACDI qui seront le plus touchés; le texte du budget parle de rationaliser la gestion, « en ciblant davantage son orientation, en réalisant des gains d’efficience et en augmentant la reddition de comptes ». On ajoute cependant que l’ACDI va «concentrer ses efforts afin qu’ils aient le plus grand impact possible » sans faire référence au mandat concernant la réduction de la pauvreté et les droits humains, formulé dans la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle (LRADO). Il n’est pas fait mention de l’exigence inscrite dans la LRADO d’écouter le point de vue des pauvres. Comme l’ACDI vient de décider de se concentrer sur un plus petit nombre de pays en développement, en excluant certaines des populations les plus nécessiteuses, en Afrique notamment, nous continuons de nous inquiéter non seulement de la quantité mais aussi de la qualité du programme canadien d’aide à l’étranger. Une aide accrue au développement et des investissements dans des programmes de conservation de l’énergie et d’énergie renouvelable deviendraient possibles si on abrogeait la réduction d’impôts consentie aux sociétés dans les budgets antérieurs. En rétablissant l’impôt fédéral des sociétés à son niveau de 2007, on irait chercher 5,3 milliards $ en 2012-13; 10,5 milliards $ en 2013-14 et 13,6 milliards $ en 2014-15, selon les chiffres du Budget fédéral alternatif établi par le Centre canadien de politiques alternatives.
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[1] Cité dans le Toronto Star. 30 mars 2012.
[2] http://rabble.ca/blogs/bloggers/pamela-palmater/2012/03/federal-budget-2012-battle-lines-have-been-drawn


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