Gratitude et espoir en temps de crise
Note: Ces réflexions de Mary Corkery, directrice générale de KAIROS, sont tirées d’une allocution prononcée lors d’une rencontre publique à Victoria, Colombie-Britannique, le 23 mars 2010.
Pourquoi sommes-nous ici?
Nous sommes ici parce que nous prenons profondément à cœur le bien-être de notre monde, celui de sa population et celui de toute la création.
Et nous sommes ici parce que l’Agence canadienne de développement international (ACDI) a coupé toutes les subventions de KAIROS pour ses partenaires à l’étranger et pour le travail de sensibilisation à la justice globale au Canada, soit 7 millions $ sur quatre ans. Ce fut, et c’est toujours, un choc pour les églises, pour la communauté des droits humains et pour les organisations non gouvernementales (ONG), en particulier celles qui attendent elles-mêmes des nouvelles d’une subvention de l’ACDI et chez qui cette décision cause beaucoup d’anxiété.
Qu’a à voir ce désastre avec la gratitude et avec l’espoir? L’adversité n’est qu’un moment dans le temps de Dieu; elle comporte donc à la fois une crise et une occasion. Et comme il s’agit bien d’un moment dans le temps de Dieu, elle est grâce.
De quoi KAIROS est-il reconnaissant?
Nous sommes reconnaissants pour le don de notre mission, dont nous comprenons de mieux en mieux la nature et la portée à la lumière de cette crise. Notre mission, enracinée dans l’Évangile, consiste à vivre notre foi à travers l’action pour la justice. Le travail de KAIROS – développement durable et droits humains – est affaire d’amour. L’amour, comme le dit saint Paul, endure tout. Pour KAIROS, cela signifie que l’amour est passionné, résilient et à long terme.
Nous sommes reconnaissants pour toutes les voix qui se lèvent pour la justice, dont celles-ci:
*des femmes en Ouganda, assises sur le sol brûlant – des aînées, des femmes avec des enfants et des jeunes filles : elles apprennent grâce à AWEPON (un groupe de femmes, qui est notre partenaire) à participer à la prise de décision au niveau local et régional, afin d’obtenir que l’eau vienne à leur village;
* des femmes d’un village près de Ramallah, réunies dans une petite salle: elles cherchent comment procurer un refuge à des femmes et des enfants qui fuient la violence de l’Occupation;
* Mike Karipko, du groupe Oil Watch International au Nigeria : il montre à l’agent de KAIROS la flamme des puits de pétrole et leurs retombées environnementales (pollution de l’eau, poissons décimés et récoltes contaminées);
* les gens de Fort Chipewyan sur le lac Athabasca : ils mènent les dirigeants religieux de KAIROS à leur cimetière pour leur montrer combien des leurs sont morts de maladies étranges qu’on n’avait jamais vues avant la mise en exploitation des sables bitumineux;
* la création elle-même, agressée par les rebuts. Un supporter de KAIROS parle d’une retraite animée par Jim Profit, jésuite passionné d’environnement. Le centre de retraite était joliment aménagé : petite table recouverte d’une nappe en batik, bougies, fleurs. Quand les retraitants sont revenus prier le lendemain matin, la table était couverte de déchets détrempés. Les retraitants étaient horrifiés, indignés, furieux. Arrive Jim qui leur dit : « C’est moi qui ai fait ça. C’est exactement ce que nous faisons à notre terre. »
Nous vous sommes reconnaissants à vous, la communauté des supporters, des militants et des amis de KAIROS, à chacune et chacun de vous et à des centaines d’autres qui nous avez appuyés activement au cours des derniers mois:
* les communautés religieuses qui sont allées ensemble rencontrer des députés et qui ont accru leur soutien financier;
* les milliers de personnes qui ont envoyé des lettres en notre nom à la ministre de la Coopération internationale Bev Oda, au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration Jason Kenney et au Premier Ministre Stephen Harper;
* ceux et celles qui sont allés rencontrer plus d’une centaine de députés fédéraux pour dissiper les malentendus et expliquer à la classe politique ce que fait vraiment KAIROS;
* les centaines de nouveaux donateurs qui nous ont découverts à l’occasion de la crise et qui l’ont transformée en prise de position pour le développement authentique;
* le retraité qui a décidé de nous donner 900 $ par mois en expliquant qu’il va essayer de continuer de nous donner ce montant parce qu’il voit qu’il s’agit de plaidoyer et qu’il veut en faire partie autant qu’il peut!
KAIROS est sorti plus fort de cette crise, et encore plus convaincu du rôle absolument fondamental du plaidoyer : faire entendre les voix des pauvres qui exigent un vrai changement, qui veulent en finir avec la pauvreté et les violations des droits humains et qui entendent construire une paix durable.
La réponse est beaucoup plus qu’une réaction d’urgence à une crise. Les gens comprennent ce qui est en cause et ils veulent s’associer à ce que fait KAIROS. J’ai vu des Canadiennes et des Canadiens réagir avec beaucoup de générosité à des tremblements de terre, des tsunamis et des famines. Si vous m’aviez demandé il y a six mois s’il y aurait un appui citoyen au travail de plaidoyer, j’aurais dit que non, que ça n’arriverait pas. Mais il existe dans notre pays tout un milieu qui se soucie de la justice et que je ne connaissais pas encore.
Et là réside le véritable espoir de changement.
L’espoir ne flotte pas dans l’abstrait, en dehors de nous. L’espoir, c’est la décision que prennent chacune et chacun de nous et que nous devons tous prendre collectivement.
Cette année marque le 30e anniversaire de la mort de Monseigneur Oscar Romero qui, comme plusieurs de nos partenaires internationaux, a payé de sa vie le fait d’exiger la justice. Les paroles qui suivent ont été prononcées lors d’une célébration en mémoire de Mgr Romero:
« Puissions-nous dire la vérité dans l’amour à l’autorité …
Pour que l’autorité puisse entendre et confirmer la vérité partout où elle se fait entendre …
Pour que l’autorité dans l’Église ouvre son cœur, et ouvre un espace afin que soit révélée la vérité par la bouche des laïcs, des pauvres et des minorités …
Pour que les cœurs s’attendrissent au bénéfice de ceux et celles qui souffrent …
Pour que nous, dans l’église, nous apprenions à prier et à agir comme si nous étions un seul et même élan du cœur. »
Et j’ajoute : pour que KAIROS soit fidèle à ceux et celles pour qui nous nous sommes engagés à faire œuvre de transformation, quel que soit le prix que nous puissions avoir à payer en subventions, en critiques, en marginalisation ou même en pertes d’ emploi.
Ce qui signifie que nous allons continuer et qu’on ne nous fera pas taire. Au sein du mouvement œcuménique pour la justice, en solidarité avec un plus vaste mouvement pour la justice sociale au Canada et à l’étranger, nous allons contribuer à stimuler le dialogue public sur ce que doit être le développement international. Et lors des réunions de famille, dans les équipes de foot, dans les paroisses, dans les pubs et sur les campus universitaires, les gens vont réfléchir, comme citoyennes et citoyens canadiens, à la façon dont nous voulons voir dépenser notre argent pour le développement international.
La victoire, ce sera de prendre nos responsabilités pour défaire les structures de pauvreté et tout ce qui fait perdurer les violations des droits humains. Nous nous rappellerons les mots de Monseigneur Romero, qui avait reçu des menaces de mort et qui disait: ils peuvent bien me tuer mais, s’ils le font, je ressusciterai dans le peuple. Nous le reconnaissons : nous avons la responsabilité d’être ce peuple.
Notre espoir, c’est donc la décision joyeuse, obstinée, fidèle de continuer.